Convergence Infirmière est l’une des organisations signataires de recommandations sur le port du masque, à destination des soignants, dans le cadre de la pandémie du CoViD-19.
Afin d’obtenir des données probantes, ces recommandations reposent sur une fine recherche bibliographique et un véritable travail d’analyse critique.
Cette recherche bibliographique, a été élaborée à partir d’une Scope Review réalisée sur Google Scholar, puis d’une recherche ciblée sur les bases de données internationales Pub Med et Cochrane. Les mots clés utilisés sont : FFP2, N95, SARS, Aerosol, Coronavirus. Nous n’avons pas appliqué de restriction de période ni de critères d’exclusion pour ne pas éliminer d’articles potentiellement utiles. Une analyse critique des articles cités a été réalisée.
1) Le premier objectif de ce travail est d’identifier les voies de contamination du SARS-CoV-2 et le risque de contamination des soignants à partir de la littérature existant à ce jour. Il a déjà été établi deux voies de contaminations certaines : contact et gouttelettes.
Dans le cadre de la pandémie du SARS-CoV2, le Pr Yazdan Yazdanpanah (unité Inserm 1137, université de Paris, service des Maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Bichat- Claude-Bernard, Paris) et le Pr Bruno Lina (CIRI, Centre International de Recherche en Infectiologie, Inserm U1111, CNRS, UCBL1 UMR5308, ENS de Lyon) ont réuni les éléments disponibles dans la littérature internationale concernant le SARS-CoV (2003), le MERS- CoV (2012) et le SARS-CoV-2. Ils expliquent que le SARS-CoV a « sévi sous forme épidémique entre novembre 2002 et juillet 2003. Plus de 8000 cas ont été recensés dans 30 pays (près de 20 % de soignants) et 774 personnes sont décédées » (1).
Selon santé publique France, le 1er avril 2020 pour le SARS-CoV-2, dans le monde 853 200 cas ont été confirmés avec 41 887 décès dont 4032 en France (2). Même si le taux de létalité est moins important que le SARS-CoV, la fréquence de contamination et la mortalité sont beaucoup plus élevées avec une épidémie qui débute le 17 novembre 2019 à Wuhan (Chine) et qui est requalifiée de pandémie par l’OMS le 11 mars 2020. Cela nous interpelle sur la possibilité d’une transmission par voie aérienne.
Une revue narrative publiée en 2019 (3) conclut à la très probable transmission par air des virus de type coronavirus SARS (pouvant expliquer les super spreader). Concernant le MERS-CoV (1), le Pr Yazdan Yazdanpanah et le Pr Bruno Lina expliquent que « la transmission d’homme à homme a lieu par voie aérienne, via des gouttelettes en suspension dans l’air. Mais le virus est faiblement transmissible. Néanmoins, un patient hospitalisé en Corée du Sud est à l’origine de 154 contaminations ».
Une étude de cohorte (4) conclut à la contamination des SARS par aérosols suite à la contamination des étudiants en médecine qui se trouvaient à plus d’un mètre du patient. Une étude (5) publiée dans le NEJM (IF 70.670) portant sur les contaminations des patients résidant à des étages et des bâtiments connexes aux SARS, dans le complexe Gardens Housing en 2003, vient confirmer la transmission par air en plus des modes de contamination par gouttelettes et contact. Les auteurs préconisaient de prendre en compte cette voie de transmission lors des prochaines épidémies de SARS.
Enfin, une étude de 2005 (6) révèle la présence dans des échantillons d’air, du SARS-CoV prélevé dans les chambres des patients, dans l’environnement et dans les salles de soins du service.
L’OMS (7) ne reconnaît pas l’hypothèse selon laquelle le SARS-CoV-2 peut être présent dans l’air, ceci pour 2 raisons : la taille des gouttelettes, principalement d’un diamètre > 5-10 μm et une étude (8) analysant 75 465 cas de COVID-19 en Chine concluant qu’aucune transmission par voie aérienne n’a été signalée. Cependant, les limites décrites par les auteurs de cette étude sont importantes : le volume d’air échantillonné ne représente qu’une petite fraction du volume total et les échanges d’air dans la pièce ont pu diluer la présence de SARS-CoV-2 dans l’air (8).
Les expérimentations publiées dans le NEJM le 17 mars 2020 (9) démontrent que 3 heures après l’aérosolisation du SARS-CoV-2 et du SARS-CoV-1, les taux des deux virus actifs dans l’air sont encore très significatifs. Bien que cette étude soit critiquée car elle a été réalisée dans des conditions expérimentales, la transmission par voie aérienne est plausible. Enfin, une étude de 2020 non publiée mais disponible sur medRxiv (10), présentant un petit échantillon soutient l’utilisation de précautions d’isolement aéroporté suite à des prélèvements dans les chambres de patients porteurs du SARS-CoV-2 ayant révélé la présence du virus dans l’air.
La vitesse de propagation de la pandémie de CoViD 19, la transmission aérienne possible du SARS-CoV et du MERS-CoV ainsi que l’étude expérimentale montrant la présence dans l’air au bout de 3 heures du SARS-CoV-2, nous semblent justifier l’application du principe de précaution.
En effet, l’hypothèse selon laquelle la voie de transmission du CoViD 19 peut se faire par voie aérienne ne peut être écartée.
2) Le second objectif de ce travail est d’émettre une recommandation sur le port du masque le plus adapté pour les soignants pour ne pas être contaminé par le SARS-CoV-2. Tout d’abord, nous souhaitons préciser que l’équivalent du masque FFP2 aux USA est le N95 (aussi appelé masque respirateur), que le masque chirurgical est différent du masque FFP1, et que les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) sont les agences fédérales des USA en matière de protection de la santé publique.
Une étude globale réalisée en 2013 met en évidence les directives internationales mises en vigueur à la suite du SARS-CoV (2003) pour les recommandations de l’utilisation de masques chirurgicaux et de masques respiratoires (FFP2/N95) à destination des professionnels de santé, pour la prévention de la grippe et du SARS en fonction des situations à faibles risques ou à haut risques (11) :
– Grippe pandémique, faible risque : L’OMS et 7 autres États recommandent un masque chirurgical. Le CDC a recommandé un masque respiratoire N95. Les directives du Vietnam recommandent une sélection appropriée entre les masques médicaux et les respiratoires
– Grippe pandémique, risque élevé : toutes les directives recommandent des masques respiratoires N95 équivalents ou supérieurs (N99, N100) sauf le Vietnam, qui recommande une sélection appropriée entre les masques chirurgicaux et les masques respiratoires.
– Risque faible de SARS : le CDC, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, le Pakistan et le Vietnam recommandent des masques respiratoires équivalents N95, tandis que l’OMS et les autorités chinoises recommandent l’utilisation d’un masque chirurgical.
– Risque élevé de SARS : tous les pays et l’OMS recommandent des masques respiratoires N95 ou supérieurs.
Un essai randomisé et contrôlé (12) publié en 2017, conclut que le port du N95 est associé à une baisse significative des infections des professionnels de santé comparativement au masque chirurgical dans le cadre des transmissions air et gouttelettes. De plus, un autre essai randomisé contrôlé (13) met en évidence que le taux d’infections des professionnels de santé dans le groupe masques chirurgicaux est quasiment deux fois plus important que chez les professionnels portant un N95.
Concernant le SARS-CoV-2, l’OMS considère que la contamination par aérosol du virus ne peut se faire que dans le cadre de procédures pouvant générer des aérosols sur des patients CoVID 19 (par exemple intubation ou soins des voies aériennes respiratoires). Elle recommande donc le FFP2 que dans ce cadre (7).
Cependant, concernant le SARS-CoV-2, le CDC aux USA (14) et l’ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control) (15) recommandent des précautions aéroportées pour toute situation impliquant la prise en charge de patients COVID-19. Ils recommandent en première intention le port de masque N95, FFP2 ou FFP3. Dans le cadre de la pénurie des masques FFP2, ils recommandent d’utiliser à défaut les masques chirurgicaux pour les soignants étant dans l’impossibilité d’être équipés de masques respiratoires.
Plusieurs essais randomisés prouvent une meilleure protection des masques type FFP2 versus les masques type chirurgicaux dans le cadre de transmissions par gouttelettes et air.
Aussi, suite aux recommandations du CDC et l’ECDC sur le port du masque FFP2 en première intention et en l’absence en France de dépistage de masse, il est nécessaire de recommander le port du masque FFP2 à tous les soignants en ville, dans les établissements médicaux sociaux et dans les hôpitaux. Ce port de masque doit être accompagné d’un équipement de protection individuel (EPI), de l’application des gestes barrières et d’une hygiène stricte des mains.
L’application de ce principe de précaution est indispensable pour prévenir tout risque de contamination des soignants qui sont le maillon essentiel sur lequel repose notre système de santé.
Pour être au plus proche de la réalité du terrain, et prendre en compte la rupture de masque
FFP2, nous recommandons de:
– Prioriser le port du masque FFP2 et par conséquence d’un EPI (équipement de protection individuel) à tous les soignants présentant des facteurs de risques de mortalité (Comorbidité, âge avancé, etc.) (16). Les soignants présentant au minimum un facteur de risque de mortalité et ne disposant pas de masques FFP2 peuvent faire valoir le droit de retrait (18). Effectivement un article (17) publié dans The Lancet (IF 59.102) met en évidence qu’il y a 33 fois plus de décès liés au SARS-CoV-2 qu’à la grippe chez les patients âgés entre 20 et 29 ans. Pour les personnes âgées de 60 ans et plus, les chances de survie à la suite d’une infection par le SARS-CoV-2 sont d’environ 95% en l’absence de comorbidités. Les chances de survie sont considérablement réduites si le patient présente des comorbidités (17).
En se référent au Code du Travail, quatrième partie, Titre III Droits d’alerte et de retrait, article 1 : « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection » (18).
– D’utiliser, en l’absence de masques FFP2, des masques FFP2 périmés dans le strict cadre des autorisations du ministère du travail, soit 24 mois (condition de conservation dans l’emballage à respecter).
– Porter un masque chirurgical au plus près du visage (pour éviter le passage de l’air sur les côtés) et à la seule condition de faire porter à tous les patients (contaminés, suspectés ou non suspectés) un masque chirurgical pour éviter la contamination du soignant, si absence de masque FFP2 ou de FFP2 périmés et considérant que chaque patient est susceptible d’être porteur du SARS-CoV-2 (puisqu’il n’y a pas de dépistage systématique et de masse),.
– Dépister tous les soignants et porter un masque chirurgical si résultat positif au CoViD-19.
– Aérer régulièrement les lieux confinés (en intra et en extra hospitalier).
– Respecter le bon usage des masques (durée d’utilisation, mettre et enlever le masque).
A noter : L’usage seul du masque FFP2 n’est pas efficace, le soignant doit porter tout l’équipement de protection individuel (EPI) : lunette ou à défaut visière (protection des yeux), gants, tablier, Charlotte, Etc. (des tutos sont disponibles en ligne pour la fabrication de visières). Aussi il doit adopter les gestes barrières de façon stricte et avoir une hygiène stricte des mains (friction hydro alcoolique et lavage simple des mains) pour ne pas s’auto – contaminer (ne pas soulever son masque, ne pas se toucher le visage, Etc.)
Références :
(1) www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/coronavirus-sars-cov-et-mers-cov
(2) www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/articles/infection-au-nouveau-coronavirus-sars-cov-2-covid-19-france-et-monde
(3) Tellier R, Li Y, Cowling BJ, Tang JW, Recognition of aerosol transmission of infectious agents: a commentary., BMC Infect Dis. 2019 Jan 31;19(1):101. doi: 10.1186/s12879-019-3707-y.
(4) Wong TW, Lee CK, Tam W, Lau JT, Yu TS, Lui SF, Chan PK, Li Y, Bresee JS, Sung JJ, Parashar UD; Cluster of SARS among medical students exposed to single patient, Hong Kong., Emerg Infect Dis. 2004 Feb;10(2):269-76.
(5) Yu IT, Li Y, Wong TW, Tam W, Chan AT, Lee JH, Leung DY, Ho T., Evidence of airborne transmission of the severe acute respiratory syndrome virus, N Engl J Med. 2004 Apr 22;350(17):1731-9.
(6) Booth TF, Kournikakis B, Bastien N, Ho J, Kobasa D, Stadnyk L, Li Y, Spence M, Paton S, Henry B, Mederski B, White D, Low DE, McGeer A, Simor A, Vearncombe M, Downey J, Jamieson FB, Tang P, Plummer F., Detection of airborne severe acute respiratory syndrome (SARS) coronavirus and environmental contamination in SARS outbreak units., J Infect Dis. 2005 May 1;191(9):1472-7. Epub 2005 Mar 18.
(7) www.who.int/news-room/commentaries/detail/modes-of-transmission-of-virus-causing-covid-19-implications-for-ipc-precaution-recommendations
(8) Ong SW, Tan YK, Chia PY, Lee TH, Ng OT, Wong MS, et al. Air, surface environmental, and personal protective equipment contamination by severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) from a symptomatic patient. JAMA. 2020 Mar 4 [Epub ahead of print].
(9) Neeltje van Doremalen, Trenton Bushmaker, Dylan H. Morris et Myndi G. Holbrook, (2020), Aerosol and Surface Stability of SARS-CoV-2 as Compared with SARS-CoV-1; New England Journal of Medicine, March, 2020. IMPACT FACTOR Q1, 70.670 (2018)
(10) Joshua L Santarpia, and al., Transmission Potential of SARS-CoV-2 in Viral Shedding Observed at the University of Nebraska Medical Center, MedRxiv , March 26, 2020. doi: https://doi.org/10.1101/2020.03.23.20039446
(11) Chughtai, A. A., Seale, H., & MacIntyre, C. R. (2013). Availability, consistency and evidence-base of policies and guidelines on the use of mask and respirator to protect hospital health care workers: a global analysis. BMC research notes, 6, 216. https://doi.org/10.1186/1756-0500-6-216
(12) Chandini Raina MacIntyre, , Abrar Ahmad Chughtai, Bayzidur Rahman, Yang Peng, Yi Zhang, Holly Seale, Xiaoli Wang, and Quanyi Wang, The efficacy of medical masks and respirators against respiratory infection in healthcare workers, Influenza Other Respir Viruses. 2017 Nov; 11(6): 511–517. Published online 2017 Aug 30. doi: 10.1111/irv.12474
(13) MacIntyre CR1, Wang Q, Cauchemez S, Seale H, Dwyer DE, Yang P, Shi W, Gao Z, Pang X, Zhang Y, Wang X, Duan W, Rahman B, Ferguson N., A cluster randomized clinical trial comparing fit-tested and non-fit-tested N95 respirators to medical masks to prevent respiratory virus infection in health care workers., Influenza Other Respir Viruses. 2011 May ;5(3):170-9. doi: 10.1111/j.1750-2659.2011.00198.x. Epub 2011 Jan 27.
(14) Recommandations provisoires de prévention et de contrôle des infections pour les patients présentant une maladie suspectée ou confirmée de coronavirus 2019 (COVID-19) dans les établissements de santé. www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/infection-control/control-recommendations.html
(15) Prévention et contrôle des infections à COVID-19 en milieu de soins https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/infection-prevention-and-control-covid-19-healthcare-settings
(16) Fei Zhou & al., (2020), Clinical course and risk factors for mortality of adult in patients with COVID-19 in Wuhan, China: a retrospective cohort study ; The Lancet ; March 9, 2020. IMPACT FACTOR Q1, 59.102 (2018)
(17) Shigui Ruan, Likelihood of survival of coronavirus disease 2019, the lancet, March 30, 2020, www.thelancet.com/pdfs/journals/laninf/PIIS1473-3099(20)30257-7.pdf
(18) https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=B5B87234DAAAC328B304D47E1EF07073.tplgfr27s_2?idArticle=LEGIARTI000006903155&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20200401
Travail réalisé par : Société Française de Recherche des Infirmiers en Pratique Avancée (SoFRIPA), le 01/04/2020 à Paris.
Signataires :
Président de la SoFRIPA : Sébastien CHAPDANIEL
Président du Collectif Inter-Blocs : Rachid DIGOY
Président de l’Union Française pour une Médecine Libre : Dr Jérôme MARTY
Président de l’AAL : Dr François HONORAT et Vice Président : Dr Loic KERDILES
Président de l’Union des Chirurgiens de France : Dr Philippe CUQ
Président du Conseil National des Jeunes Chirurgiens : Dr Gabriel SAIYDOUN
Présidente du Syndicat National des Professionnels Infirmiers : Virginie SCHLIER
Président du SYNGOF : Dr Bertrand DE ROCHAMBEAU
Présidente de Convergence Infirmière : Ghislaine SICRE