Bienvenue chez moi, en Bourgogne Franche Comté ! Non pas la Bourgogne viticole ou la Franche Comté fromagère, restons dans l’alimentaire : la Bourgogne Charolaise !

Je suis installée à Gueugnon (71), ville de moins de 10 000 habitants, ex-capitale industrielle mondiale de l’inox et championne de la ligue de football il y a… 20 ans ! Gueugnon est posée sur les berges de l’Arroux, au milieu de villages ruraux, disséminés dans un désert médical bien verdoyant…

Infirmière depuis 35 ans, passée du privé des soins à domicile aux soins à domicile en libéral, je suis ″l’infirmière de famille″, puisque j’ai des patients depuis cinq générations.

Je suis, enfin, profondément engagée dans le milieu associatif. Plus particulièrement contre les inégalités sociales et économiques. Et ce depuis 1988.

Syndiquée, adhérente souvent silencieuse… jusqu’ au moment où, entre l’avenant 6, la retraite, le régime universel à venir et la crise sanitaire : stop ! J’ai besoin d’action !

► Quelles actions ont été mises en place pour assurer le dépistage et le suivi des patients Covid ?

Cette crise sanitaire, induite par la pandémie, aura ébranlé ma fin de carrière. Comme beaucoup de consœurs et de confrères. Dans un paysage professionnel où, soyons ″cash″, nombreux sont ceux qui ″regardent la mallette des autres″, nous avons, avec ma collaboratrice, passé la première vague dans une certaine quiétude. Presque obscène tant, au milieu de cette zone rouge qu’évoquait chaque soir monsieur Salomon, nous faisions figure d’irrésistibles gaulois !

Effet pervers de cette communication gouvernementale, nous insistions auprès de tous nos patients sur les gestes barrières à mettre en place, comme une litanie plus ou moins bien réceptionnée .Nous nous préparions chez tous “nos chroniques” comme de bons soldats, prêtes à entrer en guerre.

► L’organisation de tes tournées a-t-elle dû être modifiée ?

Oui, et notre stratégie était claire : tout reposait sur le bon sens ! Il fallait donc réévaluer notre tournée, optimiser les déplacements, protéger les plus fragiles, proposer les plages horaires de tests systématiquement en fin de tournée.

► Comment se passe ton approvisionnement en EPI ?

Pour nous, pas de réserves de matériel inconsidérées, mais un comptage rigoureux de nos besoins quotidiens. C’était OK pour la course aux charlottes (nous avons même eu le grand luxe de faire un envoi à des consœurs parisiennes, en détresse), tout bon aussi pour la course aux gants, nitrile, latex… en revanche, ce fût autre chose pour la course aux blouses !

Il aura donc fallu ressortir de l’armoire la blouse immaculée ! Heureusement, les surblouses de nuit du CHU de Toulouse sont larges… Mais pas de panique, les stocks HAD récupérés de-ci, de-là, furent un bon complément ! L’achat, lui, était déjà en tension ; heureusement, le Conseil interdépartemental de l’Ordre des infirmiers nous a octroyé une petite dotation.

Pour ce qui est des masques, nous avons vite compris que nous ne tiendrions pas longtemps la cadence ! Nous ressortons pourtant de ma réserve les FFP2 de Xavier et de Roselyne et je retrouve même la paire de lunettes ! Et les prix ne cessent de grimper, car le marché est totalement dépourvu de masques. Un message clair à l’attention de ceux qui n’avaient pas encore compris que la santé passe de plus en plus par la finance et un libéralisme outrancier.

► Ton travail quotidien est-il devenu plus compliqué ?

Il est bien connu que les infirmières et les infirmiers libéraux sont aussi bien des “Inspecteur Gadget″ que des ″Mac Gyver “… alors vas-y de la débrouille ! On va donc ″pleurer″ chez nos pharmaciens de secteur, dans les entreprises à l’arrêt, dans les mairies et les communautés de communes ou chez les couturières. Et nous acceptons les dons de bon cœur. Avec le sentiment, une fois habillées en ″cosmonautes″, d’être les égéries d’une nouvelle marque de haute couture, au vu du prix de ce que nous avons sur le dos !

Ici, contrairement à certaines collègues de l’Hexagone nous résistons ! Peu de tests à réaliser que nous ne puissions – sans risque –  intégrer à notre tournée… qui dure pourtant déjà une à deux heures de plus chaque jour. Un seul cas Covid suivi, que nous gérons au mieux à domicile et qui se remet assez bien. L’été a passé, sans surprise, sous surveillance plus ou moins allégée. La facture d’eau en a pris un sacré coup (coût ?), au vu du nombre de douches imposé par la Covid et ce besoin irrépressible d’éliminer cette sueur qui te colle à la peau, la faute à cette canicule…

Peu de touristes sont venus se mettre au vert durant la période estivale. Ah, si ! Tu accueilles, style ″camping à la ferme″, les ados de ta collègue et amie qui, elle, à Paris, est tous les jours dans un covidrome. C’est rassurant pour elle, qui a été obligée de s’isoler pour prendre soin des siens, et cela permet de lutter contre le syndrome de la cabane de son ado personne à risque.

Nous allons enfin sortir de cette situation bien mal fagotées, chapotées, masquées, blousées et même culotées, mais sans aucune casse ! Quelques jours de congés chacune, la pré-rentrée pour l’une et la gestion scolaire : quel plaisir ! La perspective de retrouver – pour moi – les collègues du syndicat en Corse… avec l’alliance du plaisir en famille et bilan de crise avec les professionnels.

Mais comme un mauvais polar dont on entame le deuxième chapitre, tout recommence .Les factures des EPI explosent, les approvisionnements ne sont pas honorés comme cela était prévu. Sur le terrain, nous l’attendions, nous, soignants, cette deuxième vague. À peine remises, atterrées par la conduite de certains, exaspérées par les annonces médiatiques, mais nous ferions front, encore une fois. C’est la spirale infernale qui s’enclenche ! Les retours d’hospitalisations trop longtemps reportées et, à nouveau, la litanie des discours gestes-barrières, s’il vous plaît ! Puis le casse-tête de la gestion des rendez-vous.

“Oui madame, nous faisons les tests PCR, mais uniquement dans un créneau horaire dédié.″ ″Non monsieur, vous n’êtes pas prioritaire et puisque vous voulez partir en vacances, rapprochez-vous du ″drive labo″ situé à 20 kilomètres.″ ″Bien sûr, votre hospitalisation est prévue dans combien de temps? Alors, nous passerons de telle façon à ce que vos résultats vous parviennent dans les délais.″

Puis le tourbillon s’accélère : les blouses manquent, alors même que nous en avons plus de nécessité. BIP BIP ALERTE ! Le labo n’a plus assez de réactifs, les échéances de rendu sont plus longues. Les mécontents sont à la porte. Et l’hôpital local est de nouveau en tension.

Les étudiants ont fait la première visite aux parents le vendredi soir et le lundi, la plateforme ″contact tracing″ a elle aussi du mal à suivre ! Les tests s’enchaînent et les résultats sont de plus en plus souvent positifs. Notre vie d’IDEL devient de plus en plus pesante : prendre soin des autres, prendre soin de la cellule familiale, prendre soin de nos parents âgés… et, par choix, s’investir pour la profession.

Parce que cette crise doit renforcer la conviction des infirmières et des infirmiers vis-à-vis de l’importance de leurs actions de terrain. Et d’une nécessaire revalorisation.

Elections ordinales, préparation des élections URPS, interviews, médias réunions lors des EGI qui se sont tenues à Paris en octobre et en visio-conférence avec des représentants de médecins, pharmaciens, sur la thématique Covid.

Sur notre secteur, la population est en panique. Guère moins que ″Seveso 2″ ! Dans les entreprises, à la caserne, les agents territoriaux… du positif, rien que du positif ! Asymptomatique, certes, mais tout de même !

La lassitude de combattre un virus invisible et sournois est présente. Et puis, nous ressortons les ″fiches surveillance des cas″ puisque, malheureusement, deux de nos patients chroniques sont atteints. Nous en sommes désolées, d’autant que ce sont les plus précautionneux qui en sont porteurs. Il faut enfin souligner que l’ensemble des personnes que nous suivons est très compréhensif vis-à-vis de nos éventuels retards. Et satisfait de notre gestion de crise et de notre disponibilité, qui garantissent autant que possible la sécurité de tous.

► L’ARS et les URPS ont-elles été utiles, durant cette crise sanitaire ?

On ne peut que le constater : l’ARS est bien silencieuse et l’URPS communique par mail avec un décalage qui ne correspond pas à une situation d’urgence ! Il n y a pas d’équité de traitement sur le territoire national. Dommage et préjudiciable. Et les campagnes de prévention sont à pleurer.

► Un dernier mot ? Une suggestion ?

Où sont les vaccins antigrippaux de nombreux patients chroniques qui, depuis le mois d’octobre, n’ont pas pu recevoir leur injection, malgré leur bon?

Enfin, notre logiciel métier nous garantit la traçabilité de tous nos actes. Heureusement que cette partie administrative nous est familière, parce qu’avec la recrudescence du télétravail, le réseau n’est pas des plus rapides ! Et les applications dédiées au Covid ne sont pas aussi aisées que les médias le laissent croire. Surtout lorsque cela émane du gouvernement. Nous sommes encore en pleine tourmente et cela demande une attention particulière et quotidienne.