Faire reposer la lutte contre l’obésité sur la seule responsabilité des individus est une ineptie (journal Le Monde)

► Convergence infirmière est signataire de cette tribune, publiée aujourd’hui dans “Le Monde”.

Il est désormais scientifiquement établi que des polluants chimiques interviennent dans le développement de cette maladie dont la prévalence a doublé en vingt-cinq ans, rappellent, dans une tribune au « Monde », une quarantaine d’associations membres du Collectif interassociatif pour la santé environnementale.

Chaque année en France, ce sont 180 000 personnes qui meurent de l’obésité, plus que le nombre de victimes de cancers. Au-delà des multiples complications cardio-vasculaires liées à cette maladie, la crise du Covid-19 a révélé le danger que représentait le fait de souffrir d’obésité face au SARS-CoV-2, avec un risque deux fois plus élevé d’hospitalisation ou de décès, alors que, selon la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), nous entrons dans « l’ère des pandémies », avec l’émergence croissante de virus animaux.

L’obésité affecte 8,5 millions de personnes, soit 17 % de la population française, contre seulement 8,5 % de la population en 1997. La prévalence de l’obésité a doublé en vingt-cinq ans. En juin 2021, pour la première fois, des chiffres sur l’obésité infantile ont été publiés : 18 % des enfants de 2 à 7 ans et 6 % de ceux de 8 à 17 ans sont en situation d’obésité. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que l’on constate l’apparition d’une obésité chez des enfants de moins de 5 ans, ce qui n’était pas observé il y a vingt ou trente ans.

L’ONU a repris les objectifs du millénaire pour le développement, en particulier l’arrêt de la progression de l’obésité et du diabète d’ici à 2030, et pourtant l’OMS annonce que d’ici quinze ans, 28 % des femmes et 24 % des hommes pourraient souffrir de surpoids et d’obésité en France, soit le quart de la population, avec une prévalence deux fois plus forte chez les catégories socioprofessionnelles les plus modestes.

L’ASPECT ENVIRONNEMENTAL

Si la nourriture industrielle, trop grasse, trop sucrée, est un facteur bien identifié, la sédentarité, le stress, les troubles du sommeil, les accidents de vie, les régimes à répétition et la qualité du microbiote intestinal jouent également un rôle dans le développement de l’obésité.

De plus, il est désormais scientifiquement établi que des polluants chimiques interviennent dans le développement de cette maladie chronique, ces substances obésogènes pouvant même interférer sur la descendance des individus sur plusieurs générations. Aussi cette épidémie ne peut être imputée à la seule responsabilité des individus, la présence de ces différents facteurs relevant en grande partie de choix politiques.

Or l’obésité ne relève que du programme national nutrition santé (PNNS), dont les seuls objectifs « manger, bouger » traitent uniquement l’aspect comportemental sans considérer l’aspect environnemental. Ce message est maladroit et stigmatisant pour les personnes obèses, laissant croire au grand public que, si le comportement de ces personnes s’améliorait, elles ne seraient plus malades. On ne peut pas dire qu’un enfant de 5 ans ne se dépense pas ! Faire reposer la lutte contre l’obésité sur la seule responsabilité des individus est une ineptie.

DES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS OBÉSOGÈNES

En revanche, le plan national santé environnement (PNSE) ne traite à aucun moment de l’obésité, en dépit de la responsabilité scientifiquement documentée des polluants et autres facteurs environnementaux dans le développement de l’obésité et alors même que l’humanité vient de franchir une cinquième limite planétaire, celle de la pollution chimique.

Car nous savons aujourd’hui que l’obésité est une maladie qui peut être développée par un mécanisme épigénétique transgénérationnel lié à la présence d’obésogènes dans l’environnement et dans la nourriture ultratransformée.

Certains perturbateurs endocriniens − c’est-à-dire les substances qui interfèrent avec nos hormones − sont reconnus comme obésogènes. Une souris gestante exposée au Distilbène ou au bisphénol A donnera naissance à des petits qui deviendront obèses à l’âge adulte. Les cohortes d’enfants exposés au Distilbène révèlent trois fois plus d’obésité et de diabète à l’âge adulte. Chez l’animal, on constate que les petits ou descendants deviennent obèses jusqu’à la troisième ou quatrième génération.

Certains polluants organiques persistants, comme les pesticides de la classe des organochlorés ou les dioxines, modifient la biologie des tissus graisseux et provoquent des dérèglements métaboliques qui conduisent à l’obésité. Quant aux emballages alimentaires en plastique, on sait aujourd’hui qu’ils exposent à un risque d’obésité une grande majorité des Français, notamment les enfants dès le plus jeune âge dans les cantines (de la crèche à l’université).

ACTIVITÉ PHYSIQUE ET ALIMENTATION SAINE

De plus, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne cesse d’alerter sur les risques sanitaires liés à l’explosion du temps passé devant les écrans, chez les adultes, mais surtout chez les jeunes. En effet, deux tiers des 11-17 ans présentent ainsi un risque sanitaire préoccupant, caractérisé par le dépassement simultané des deux seuils sanitaires : plus de 2 heures de temps d’écran et moins de 60 minutes d’activité physique par jour, près de la moitié présentant même un risque sanitaire très élevé (plus de 4 heures 30 de temps d’écran journalier et/ou moins de 20 minutes d’activité physique par jour).

Ainsi, il est essentiel d’encourager l’activité physique et une alimentation saine, mais il l’est tout autant de lutter contre la dissémination de substances obésogènes. L’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) révèle l’exposition de la population française aux pesticides et aux métaux lourds et montre combien l’accès à une alimentation saine est difficile.

Le Collectif interassociatif pour la santé environnementale (CISE) appelle les candidates et candidats à l’élection présidentielle à s’engager à mettre en œuvre des politiques publiques qui éradiquent les substances nocives de notre environnement (perturbateurs endocriniens, insecticides, pesticides), taxent la malbouffe (produits transformés, sodas, etc.) tout en rendant plus accessibles les aliments sains afin de favoriser une alimentation moins sucrée et moins grasse, notamment par la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, et concourent à la réduction du temps d’écran. Cette politique doit en outre viser à réduire les inégalités sociales qui pérennisent cette catastrophe sanitaire.

Alors que l’obésité est reconnue comme maladie chronique par l’OMS depuis 1997, elle ne l’est toujours pas en France et ne fait pas partie des pathologies qualifiées « d’affection longue durée » (ALD) par la Sécurité sociale, ouvrant droit à un remboursement à 100 % des soins. Le CISE appelle les candidates et candidats à l’élection présidentielle à reconnaître l’obésité en affection longue durée (ALD) afin de protéger les personnes qui en souffrent au lieu de les stigmatiser.

Les signataires de cette tribune pour le Collectif interassociatif pour la santé environnementale (CISE)

Gérard Bapt et Chantal Lhoir, les porte-parole de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) ; Michel Besnard, président du Collectif de soutien des victimes des pesticides de l’Ouest ; Janine Busson Baude, présidente fondatrice de l’Association enfance-télé : danger ? ; René Cadot, président de l’association Action santé solidarité ; André Cicolella, président du Réseau environnement santé ; Elsa Cohen, secrétaire générale adjointe de la Confédération syndicale des familles ; Dr Alain Collomb, membre du bureau de l’Association santé environnement France (ASEF) et président de Santé environnement Provence ; Sylvie Hermans, porte-parole du Collectif santé sans onde ; Dr Lamia Kerdjana, présidente de Jeunes Médecins Ile-de-France ; Christian Khalifa, président d’Indecosa-CGT ; Dr Mallory Guyon, cofondatrice du Coll’air pur santé et porte-parole du Collectif environnement santé 74 ; Philippe Ladougne, fondateur de l’association Warrior Enguerrand ; Julien Léonard, président du Conseil national des associations familiales laïques ; Alexandra Lorenzo, fondatrice de l’association Itawa ; Dr Christine Malfay-Régnier, présidente de l’association SOS MCS ; Yves Marry et Florent Souillot, coprésidents de l’association Lève les yeux ; Véronique Molières, directrice du Comité pour le développement durable en santé (C2DS) ; Catherine Neyrand, présidente de l’association POEM26 ; Tania Pacheff, présidente de l’association Cantine sans plastique France ; Sophie Pelletier, présidente de Pour rassembler et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques (Priartem) électrosensibles de France ; Claire Royer de la Bastie et Karine Pontroué, porte-parole du collectif Je suis infirmière puéricultrice ; Dr Philippe Richard, président de l’Association pour la protection de la santé des habitants de Saint-Omer ; Virginie Rio, Collectif BAMP ! ; Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France ; Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière ; Marie Thibaud, fondatrice du collectif Stop aux cancers de nos enfants ; Jean-Philippe Ursulet, directeur général de la Ligue contre l’obésité ; Stéphane Védrenne, cofondateur d’Eva pour la vie et de la fédération Grandir sans cancer ; François Veillerette, directeur et porte-parole de l’association Générations futures ; Stéphanie Ville, présidente de l’association Aidons Marina et de la fédération Grandir sans cancer.

Avec le soutien des organisations suivantes :

Xavier Broutin, fondateur de l’Association Cassandra ; Jean-Michel Chiapello, porte-parole du RésoA + ; Dr Nathalie Delphin, présidente du Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD) ; Laurent Lalo, Collectif Regards ; Didier Lambert, président de l’Association d’entraide aux malades de myofasciite à macrophages (E3M).

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